La fête de Vièle à Quissac

Les fêtes de Vièle

Les origines

La première a eu lieu en 1936, les Vièlois heureux du goudronnage de leurs rues (Vièle, le Plan, rue de l’Argenterie) décident de fêter ça.
Est-ce qu’à ce moment là, ils se doutaient qu’aujourd’hui elle se ferait encore ?

Alors Monsieur Touret, qui résidait en entrant dans la rue de Vièle avait écrit une chanson sur l’air à la mode de « tout va très bien Madame la Marquise » dont voici les paroles : 

« Allo, Quissac, quelles nouvelles ?
On va danser pendant trois jours
Car on vient de goudronner Vièle
Qu’on se le dise aux alentours !.... »

Il y avait cinq couplets, on en a retrouvé un. Qui connait les quatre autres ?

Une fois de plus ce quartier, entre Vidourle et Garonnette, se singularisait par rapport au reste du village. Vieille résurgence du passé ancestral ?

Je vais en parler comme je m’en souviens, c'est-à-dire dans les années quarante, cinquante.

Quissac-viele-2.jpg La fête de Viele à Quissac

La préparation

Au début de l’été, le Comité des fêtes se formait. Une réunion des habitants désignait quelques personnes qui allaient prendre en main l’organisation. Des jeunes étaient promus, les anciens aidaient, surtout en donnant des conseils et en veillant au respect des traditions. Il y avait plusieurs moments forts. Le Comité devait commander l’orchestre, les boissons, le matériel, les gâteaux…

Personne n’avait de l’argent d’avance, mais on leur faisait crédit, sans caution !

Les décorations

À quelque temps de la fête, tous les volontaires préparaient les décorations.

D’abord, il y avait les drapeaux qui se découpaient dans du papier luisant et solide, de grandes feuilles format affiche de toutes les couleurs, que l’on réduisait en rectangles de 21 par 27 centimètres.

Des mains expertes obtenaient les formes géométriques dessinées ci-après :

Les drapeaux fête de Viele

La forme n°5 c’était la récupération des bouts de la découpe de la numéro n°2 par exemple, il n’y avait pas de gaspillage.

Dans la salle un dégourdi suspendait des longueurs de ficelle de charcutier à hauteur de bras. Alors tout le monde se mettait à ajuster les flammes avec de la colle Remy, en respectant un écartement minimum et maximum, un mariage des formes et des couleurs, ou selon l’inspiration de chacun ; il y a toujours eu des artistes !

Quand une longueur était prête et sèche, un « spécialiste » la pliait comme un écheveau, de la longueur d’une grosse brassée environ. Il faisait une ganse avant de suspendre le paquet à un clou et stockait toutes les oriflammes en attendant les jours précédents le premier week-end d’août.

Evelyne et Adeline confectionnaient des roses multicolores en crépon lié par du fil de laiton, dont elles emplissaient des « banastes », en attendant la veille de la fête, car ce papier craint la pluie.

Des hommes allaient couper du buis dans les garrigues. Avec ces branchettes et du fil de fer souple, ils tressaient des guirlandes qui marquaient symboliquement les entrées de Vièle comme des arcs de triomphe (Chaussée, Cap de Vièle, Camp Neuf…)

Ils décoraient les Porches, La Placette, l’estrade de l’orchestre avec cette verdure, piquée de roses pimpantes de crépon. À vrai dire,  selon les années et les inspirations diverses, les décorations variaient.

D’autres volontaires coupaient des peupliers de « Galoubier » qu’ils plantaient aux quatre coins de l’estrade et sur la pompe de la Placette, les branches agrémentées de roses colorées.

L’installation

René Gauthier arrivait avec une manche d’incendie dans la remorque de son vélo, arrosait copieusement la place et les rues adjacentes qu’il nettoyait des immondices et de la poussière. De petits groupes affairés installaient le stand de la buvette, les ampoules, les guéridons ronds, les tables rectangulaires, les chaises pliantes que prêtaient les cafés, le tout à grand renfort de cris, de gestes, d’engueulades.

Le monsieur de l’EDF venait placer le compteur et tout le monde attendait craintivement le verdict du disjoncteur, est-ce que les épissures allaient tenir ?

Par des dizaines d’ampoules, la lumière venait : cette lueur irréelle, sur cette place de l’Église d’habitude austère et sombre, sur les gens et sur les choses, transcendait le quotidien, en un monde merveilleux, celui de la fête.

La buvette

Le Comité commandait des boissons, de la glace en pain.

Les cafetiers improvisés plaçaient les canettes dans des pastières ou des cornues, qu’ils couvraient de gros blocs de glace. Le tout était protégé de la fonte par de lourdes bâches et devait résister au moins trois jours à la canicule.

Il y avait le problème du pastis. D’abord il ne s’en trouvait pas comme aujourd’hui dans les supermarchés (qui d’ailleurs n’existaient pas). Or il était interdit d’en faire, surtout d’en vendre, pendant les fêtes, sans licence. La Régie veillait jalousement en la personne de M. Boissonnade puis de M. Vareille.

On finissait quand même par trouver de l’alcool. A l’époque ça ne manquait pas, avant l’abolition du privilège des bouilleurs de cru. Un litre d’alcool à 96° (dit trois-six) dédoublé à 48°, plus une « bouteillette » d’anis par litre (en contrebande bien sûr).

Donc on en faisait des bonbonnes.


Quissac-viele-1.jpgBuvette pendant la fête de Vièle

 

La rincette

Pour les habitants de Vièle il y avait l’apéritif sur la Placette. La veille un technicien en pompe aspirante-refoulante réparait les joints de cuir. Le puits donnait une eau très fraîche (il n’y avait pas de frigo ni même de glacière) où l’on faisait tremper les melons pour les rafraîchir et le beurre pour qu’il ne fonde pas. Pour l’apéritif, une longue table était dressée et une kyrielle de verres, pleins du breuvage interdit, étaient alignés.

Les adultes « maïssaient » pendant que les enfants couraient et jouaient au milieu des tables. Certains, trompant l’attention des grands, buvaient leur premier pastis et scellaient ainsi leur première entorse à la « loi ».

Les attractions

Quinze jours avant la fête des affiches multicolores placardées dans Quissac et dans les villages alentour annonçaient les festivités. Pour plus de sûreté, Fabret le garde champêtre publiait ses annonces dans les rues et sur les places au son de la clochette : 

« Drelin, drelin, drelin !

Avis à la population ! Le Comité de la fête de Vièle invite les Quissacoises et les Quissacois samedi, dimanche et lundi sur la place du plan de l’Église.

Nombreuses attractions : 

Concours de pétanque, jeu de quille, loto, tir….

Bal tous les soirs jusqu’à l’aube avec le grand orchestre Puechmarin ou Raoul Remolino.

Qu’on se le dise ! »

La buvette était installée contre le mur de la cure, le stock de boissons sans le jardin du curé, une pompe à main distribuait l’eau fraîche. Le stand de tir était dressé sur le chemin de Jallagier et la cible contre le mur de la maison Gervais. Certains malins tiraient sur la cloche de l’horloge municipale de l’Église. Le jeu de quilles s’étendait devant le garage de Monsieur Cabane ; le boulanger y garait son âne et y remisait ses fagots pour chauffer son four.

Les concours de boules se déroulaient sur le parvis de l’Église autour de la croix, dans la rue Bourbon, vers les cimetières. L’estrade se trouvait contre l’Église en face de la rue de Vièle. Le reste de la place était occupé par des guéridons, des grandes tables où les familles et les amis se réunissaient. On s’invitait autour de quelques canettes de bière « La Meuse » et de la limonade « Pschitt » servies dans de grands verres à « bulles » déformantes.

L’atmosphère

De bon matin c’était le bruissement des drapeaux de papier, dans le souffle de la brise, qui vous réveillait doucement, mélangé aux cui-cui des moineaux.
Dans la rue, les seaux d’eau jetés à la volée et le frottement des « escoubes » annonçaient le grand nettoyage du matin.
La gazette des balayeuses vous tenait au courant des évènements nocturnes. Guère plus tard, le claquement des boules de pétanque trahissait l’arrivée des joueurs.
Par les trous des volets, les jeux de lumière projetaient au plafond blanc, à l’envers, les images mouvantes de la rue, le passage des gens, la tête en bas, comme un film sur un écran panoramique.
Il n’était plus question de flemmarder au lit ; vite il fallait se rendre sur le Plan, où l’on percevait clairement le brouhaha d’une activité déjà fébrile : répétition d’orchestre, bruit de chaises pliées, verres et carafes entrechoquées. Cette place était pendant trois jours pleins, le nouveau centre du Monde, d’où ni personne ni aucun évènement n’aurait  pu nous déloger.
Alors un orchestre réduit à un tambour et un saxophone, se mettait en mouvement pour la tournée des « fougasses ». Les musiciens, les jeunes du Comité, munis de baluchons de draps remplis de gâteaux ronds, des enfants suiveurs, formaient un cortège animé à travers les rues de Vièle.

Les animations

L’aubade
Dans la nuit, très tard, il y avait eu les aubades du Comité, l’orchestre réduit avait circulé sous les fenêtres des Vièloises et des Vièlois :
« En l’honneur de Lucie et Jean Clément ou en l’honneur de Mademoiselle Roselyne Campredon... »
Alors l’orchestre esquissait un air à la mode et la petite troupe allait plus loin : 
« en l’honneur de …. »

Tous les habitants du quartier avaient droit à leur sérénade. Ensuite la musique s’estompait peu à peu, laissant les dormeurs à leurs rêves.

Le banquet
Après la pétanque du matin et l’apéro de midi, les membres du Comité installaient des tables et prenaient le repas au milieu de la piste de bal, sans tenir compte de la circulation des automobiles. Elles étaient fort rares d’ailleurs. Si une voiture de touristes se perdait dans les rues étroites de Vièle, il fallait déplacer les longues tables en maugréant : 

« Dé qu’es aquel emmerdaïre, pou pa anar a pié !» (Quel est cet emmerdeur, il ne peut pas aller à pied !)

Les convives avaient apporté de quoi se sustenter : charcuterie, viandes froides, escargots, salades diverses, tomates, concombres, « courals » (poivrons frais), desserts et fruits à foison, melons d’eau, raisins chasselas ou muscats, sans oublier les vins du cru qui coulaient à flots. C’était un banquet que Bacchus n’aurait pas désavoué. Ceux qui avaient encore bonne vue, pouvaient voir au-dessus des tablées, voleter les Elfes et les petits « Anges Bouffarels » (joufflus) attirés par ce charmant remue-ménage.

Le radio-crochet
L’animation était laissée à l’inspiration de l’orchestre, des membres du Comité ou des participants. Le lundi soir, dernier jour de fête, était réservé au radio-crochet. Qui, savait une chanson, un sketch, une blague pouvait se produire sur l’estrade ou sur la piste.

Les spectateurs se souviendront longtemps de Rober Bouchité qui nous chantait immanquablement « Elle s’appelait Hortense, il s’appelait Timoléon… » de Blaise, le vendeur de cacahouètes interprétant une « danse » du ventre endiablée : « Raza lou pezef sidi j’men fou » ramenée de la Coloniale, De Zoël Daudé racontant les mésaventures de son copain Endolfi déguisé en lion de cirque pour gagner quatre sous et qui se retrouve dans une cage avec un autre lion « Pitié, yé les zenfants à la messon » dit-il au lion, et l’autre lui répondant :  « espèce de couillon moi aussi je suis déguisé ! »

Des scouts de passage chantant en chœur : « y avait dans mon village un homme qui avait des poux, Barbapoux ». Plus sérieusement, le Bel Canto avait aussi son heure de gloire, Monsieur Marcou, le ténor nous interprétait : « La Chanson des Blés d’Or ». Le succès était garanti et les applaudissements nourris, tout cela, sans prétention, improvisé, sans ronchonnement et dans l’enthousiasme.

Le bal
Peu avant l’entracte, pour attiser la soif, l’orchestre jouait des pots-pourris d’airs qui allaient s’accélérant, des slows aux tangos, des paso doble aux cha-cha-cha sans oublier, polkas, mazurkas,  scottish…

Les spectateurs ne pourront jamais oublier le Père Dufour, garde champêtre, arrivant au milieu de la piste, en chemise de nuit et ombrelle à fleurs interprétant une matelote endiablée : « Ah ! Les petits pois, les petits pois pois pois… » Suivie bientôt par toute une farandole autour de la place, qui zigzaguait entre les tables, parcourant tous les recoins de la fête avec une fabuleuse énergie de comète.

Puis de retour sur la piste afin de reprendre son souffle, on dansait : 

« Il y avait dans mon château une bouteille de Pernod… »

Ou 

« Elle a cassé la balei-eine de son-on corsage

Il a cassé la balei-ne de son parapluie

Elle a cassé son parapluie tans pis pour elle

Il a cassé son parapluie tant pis pour lui… »

Pour les plus sportifs venait ensuite « La Rapsa », une musique d’origine mexicaine.

Pour ceux qui n’étaient pas épuisés et pour les costauds : « la bombe à Bikini » où on faisait sauter très haut sa (son) partenaire en la (le) tenant par la taille. Mauvais présage pour un monde et un temps où désormais on rigolerait moins.

Après cet exercice réchauffant, il fallait vite aller se désaltérer d’anis au comptoir.

Les familles, les amis rajoutaient des chaises autour des tables où ils dégustaient, en devisant longuement, du muscat ou du vin pétillant, les enfants préférant le sirop de menthe ou de grenadine distribué gratuitement…


Quissac-viele-3.jpgLa fête de Vièle

Epilogue

S’il avait fait très beau, le Comité était content ; un orage pouvait gâcher la fête.

Le dernier jour, la nuit très tard les derniers fêtards pouvaient chanter pour clôturer les festivités : 

« Aro caben tout acaba

Fumen la pipe, fumen la pipe

Aro caben tout acaba

Fumen la pipe sans tabac

 Y anaren toutes y anaren toutes

Amenaren nostres efants

Nostra journada sera pagada

como si travalhavian… »

 

Texte et archives photographique de Monsieur Daniel Lloret, avec son aimable autorisation.

 

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